Les premiers temps (des années 1860 à 1940)

L’admission d’élèves étrangers à l’École normale ne s’est pas d’abord présentée comme une évidence. Dans une « Note sur les étrangers admis à l’École d’après les dossiers du Ministère » datant probablement du milieu des années 1920 et conservée aux Archives nationales, l'on peut ainsi apprendre que les premières demandes déposées ont reçu une réponse négative : en 1850, l’admission d’un répétiteur luxembourgeois est ainsi refusée en grande partie en raison du caractère absolument nouveau – et donc non pris en compte par le règlement – de l’admission d’un étranger comme élève, tandis qu’en 1861, la demande d’admission d’un licencié ès-sciences de nationalité roumaine est à nouveau refusée par le directeur de l’École, en vertu du caractère inédit de la demande et de la spécificité de l’enseignement de l’École, qui se doit d’être réservé aux élèves qu’elle sélectionne.

C’est à partir de 1867, et sous l’impulsion de Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique que l’École s’ouvre, d’abord de manière très mesurée, aux élèves étrangers. Celui-ci accède en effet à la demande, présentée de manière officieuse, du prince Charles de Hohenzollern de faire admettre chaque année deux des meilleurs étudiants roumains à l’École normale supérieure.

C’est également Victor Duruy qui conclut en 1869 un accord avec le gouvernement luxembourgeois pour l’admission annuelle d’un étudiant luxembourgeois à l’École, le Luxembourg s’engageant à verser le prix de l’entretien des pensionnaires. Si ces deux accords ne s’avéreront pas strictement mis en place – l’École n’admettra pas d’élève roumain entre 1870 et 1892 et l’admission d’élèves luxembourgeois s’interrompra entre 1882 et 1895 – l’établissement s’ouvre cependant, dans les dernières décennies du siècle, à des étudiants de provenance plus diversifiée : un étudiant suisse, ainsi, sera reçu en 1883, deux étudiants chinois en 1887, un étudiant serbe en 1890, un étudiant grec en 1899, mais également des étudiants haïtiens, canadiens, américains, un étudiant danois et un étudiant hongrois.

Ces admissions ne sont pas allées sans réticences : ainsi, une lettre de Fustel de Coulanges datée de 1880, époque où il était directeur, témoigne de ses réserves quant à l’intégration d’élèves étrangers à l’École. « Il n’est pas sans inconvénients d’admettre parmi nous sans concours des jeunes gens qui sont trop inférieurs à nos élèves », déclare-t-il en effet, qualifiant cette admission de « faveur » qu’il ne souhaite pas « étendre ».

Les réticences de Fustel de Coulanges n’ont pas tant pour objet l’admission d’élèves étrangers que l’admission de ceux-ci sans concours : dans la plupart des cas, en effet, les étudiants étrangers étaient admis sur simple demande de leur gouvernement au gouvernement français et examen de leur dossier. Fustel de Coulanges préfère à cette solution l’admission par concours : il donne à cet égard les exemples de Riemann et Bergson qui ont été admis à l’École comme élèves étrangers, après avoir passé avec succès les épreuves du concours.

Pendant la première moitié du xxe siècle, c’est bien selon l’une ou l’autre de ces modalités que sont alternativement reçus les étudiants internationaux. La voie la plus courante, du moins dans un premier temps, semble avoir été celle de la présentation des candidatures par le gouvernement du pays d’origine au ministère français des Affaires étrangères, lequel les transmettait au ministère de l’Instruction publique ainsi qu’à la direction de l’École elle-même : c’est de cette façon que les étudiants luxembourgeois, dans un premier temps, sont admis à l’École ainsi que, à partir de 1923, les étudiants belges que l’École s’engage à recevoir annuellement.

La présentation de la candidature de l’étudiant par le gouvernement du pays d’origine semble toutefois avoir été la norme, même dans le cas d’élèves se soumettant aux épreuves du concours. Passer les épreuves du concours ne signifiait pas nécessairement les passer dans les mêmes conditions que les élèves français : dans un certain nombre de cas, les épreuves servaient simplement à évaluer le niveau des candidats et non à les classer. Un candidat comme Bernard Bouvier, étudiant suisse, pouvait ainsi, dès 1883, être admis à titre d’élève étranger, « hors cadre », bien qu’ayant été classé sur liste complémentaire à la suite des épreuves du concours. Au fil des années, le besoin se fait sentir de fixer ces procédures, ce qui est accompli en 1930 avec ce que le directeur de l’époque qualifie de « projet de refonte du règlement de l’École », qui inclut trois articles consacrés aux modalités d’admission d’élèves étrangers.

Il arrive toutefois que l’École refuse certains candidats, lorsque ces derniers ne respectent pas la procédure pour la présentation de leur candidature ou lorsque leur profil paraît inadapté à l’École. En 1936, un candidat luxembourgeois se voit refusé le titre d’élève étranger en raison de l’insuffisance des résultats qu’il a obtenus au concours : le ministère des Affaires étrangères, en vertu de l’intérêt diplomatique qu’il y a pour la France en cette période à maintenir de bonnes relations avec le Luxembourg, suggère d’accepter tout de même l’étudiant mais en tant que simple auditeur.

L’admission d’étudiants étrangers à l’École n’est de fait pas sans lien avec l’activité diplomatique de la France et les liens qu’elle entend tisser avec certains États : l’École accueille ainsi pendant l’entre-deux-guerres des élèves hongrois, roumains, tchécoslovaques ou yougoslaves, ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec la politique de rapprochement avec l’Europe de l’Est qui est alors celle de la France.

Par-delà la dimension politique qui peut être celle de certains de ces échanges, les archives nous donnent également à voir une direction de l’École impliquée dans la sélection des étudiants étrangers et soucieuse des conditions de leur accueil. Ces derniers correspondent d’ailleurs avec le directeur en place, qu’il s’agisse de lui présenter leur candidature, d’annoncer la date de leur venue ou de le remercier pour son accueil à la fin de leur scolarité.

Un dossier important sur lequel la direction de l’École montre son soutien aux étudiants étrangers ou d’origine étrangère est celui des naturalisations. En 1934, une modification apportée à une loi de 1927 vient interdire l’accès à la fonction publique aux Français naturalisés depuis moins de dix ans : la direction de l’École s’engage alors dans différentes démarches pour que cette loi ne nuise pas au parcours de ses étudiants ; de même, en 1937, le directeur de l’époque, Célestin Bouglé, œuvre afin que la demande de naturalisation d’un nouvel étudiant lituanien soit acceptée à temps pour qu’il puisse espérer enseigner un jour – l’agrégation ne pouvait alors être passée après l’âge de trente ans.

L’entre-deux-guerres est la période d’un accroissement du nombre d’étudiants internationaux présents à l’École : alors qu’en 1920-1921, l’École ne comptait que trois étudiants étrangers, elle en compte six en 1929-1930, dix en 1931-1932 et 1932-1933 ainsi qu’en 1938-1939. Le nombre d’étudiants internationaux y est plus important dans les disciplines littéraires que dans les disciplines scientifiques, ce qui restera une constante jusqu’à la fin du siècle. Cet accroissement sera encore davantage à l’œuvre dans l’après-guerre, caractérisée par le développement des échanges universitaires.

Sources :

Archives nationales, 61 AJ/193.

Tronchet, G., Savoirs en diplomatie. Une histoire sociale et transnationale de la politique universitaire internationale de la France (années 1870 - années 1930), thèse de doctorat, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2014.

Pour citer cette page : Hiyam Chames-Eddine, "Les premiers temps (des années 1860 à 1940)", Les étudiants internationaux, L'école dans le monde, Projet Archives normaliennes, Ulm 2023, coordonné par Valérie Theis et Léa Saint-Raymond avec le soutien de Léopold Boyer. URL : https://archives-normaliennes.huma-num.fr/s/monde/page/1900